Deux grandes figures du rap français s'affrontent depuis quelques mois par chansons interposées, avec des textes acerbes et souvent violents. Booba d'un côté, rappeur des Hauts de Seine, le "9-2", et Sinik de l'autre, rappeur de l'Essonne, le "9-1", livrent régulièrement leur "clash" en réponse à la provocation de l'autre. Olivier Cachin (1), journaliste spécialiste de la culture rap, revient sur ce phénomène.
LCI.fr : N'y a-t-il pas un risque que certains jeunes puissent prendre au premier degré les textes de ces chansons souvent violentes, notamment lorsqu'elles opposent deux cités ou deux quartiers ?
Olivier Cachin : Ce duel verbal n'a pas vocation à être sur la place publique, il est destiné à un public initié. Les rappeurs sont dans leur grande majorité des artistes responsables et son principe est souvent perverti par les médias, qui sortent les paroles d'un "clash" de leur contexte. Si on parle du "clash" de Booba et Sinik, c'est parce que ce sont des stars. Mais eux ne communiquent pas dessus, et ne cherchent pas à toucher le grand public avec ces mots. En l'occurrence, il ne s'agit pas d'une rivalité de départements, mais bien d'un duel de mots entre deux rappeurs majeurs.
LCI.fr : Le "clash" peut-il aboutir en France à de la violence physique ?
Olivier Cachin : Le "clash", c'est un duel verbal qui opppose deux rappeurs. Le rap est une musique rebelle venue de la rue, et le "clash" est un sous genre qui transforme une violence physique négative en une violence des mots plus positive. Reste que le rap est issu d'un milieu violent, on n'est donc pas à l'abri d'une mauvaise surprise. Tout est possible, mais nous n'en sommes pas là en France. Le "clash" peut se terminer par des meurtres, comme ce fut le cas entre deux rappeurs américains très connus, Tupac et Notorious B.I.G. D'abord amis, ils se sont ensuite opposés dans une lutte meurtrière symbolisée par la rivalité entre la cote Est et la cote Ouest des Etats-Unis. Les deux rappeurs ont été tués l'un après l'autre en 1996. Aucun des deux meurtres n'a été résolu.
LCI.fr : La réussite commerciale d'un rappeur ne remet-elle pas en cause l'authenticité d'un "clash", comme celui qui oppose Booba à Sinik ?
Olivier Cachin : Au contraire, le "clash" est une manière pour ces deux rappeurs de réaffirmer leur indépendance vis-à-vis du tout marketing. De cette manière, ils gardent une certaine fraîcheur face aux risques de récupération de l'industrie. Répondre ou provoquer un "clash" permet à un rappeur d'adresser un message au milieu pour dire : "Je suis légitime".
LCI.fr : D'où vient le "clash" et quels thèmes aborde-t-il ?
Olivier Cachin : On peut faire remonter les origines du "clash" aux joutes verbales qui avaient lieu entre détenus dans les prisons américaines dans les années 1960 : plutôt que de se battre, ils s'insultaient par rimes interposées. Dans le "clash", tous les thèmes sont bons, même les coups bas verbaux. Le rap, ce n'est pas de la variété : on peut insulter la mère ou la famille de son adversaire, tout en gardant une distance poétique, il n'y pas d'interdits. La seule règle consiste à "éliminer" son adversaire avec des rimes poétiques. Le public juge par la suite qui l'a emporté. C'est la quintessence du hip hop, un haut niveau de poésie. Toute la beauté de ces joutes, c'est d'y glisser de l'humour. Si c'est juste pour verser dans l'insulte gratuite, ça n'a pas d'intérêt.